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Photo du rédacteurMarc THOMAS

Ne te noies pas dans la louange

Dernière mise à jour : 16 avr. 2021

Des chrétiens se retrouvent régulièrement dans des groupes de prière qu’ils préfèrent appeler aujourd’hui groupes de louange. Ils chantent, ils dansent, ils se retrouvent chaleureusement pour trouver Dieu et pour ressentir sa présence.


La louange n’est pas une spécialité réservée aux chrétiens. Ces recherches d’ « aspiration » vers le divin ou d’inspiration pour le rejoindre, ces temps d’incantation, parfois jusqu’à la transe, existent dans toutes les religions et démarches spirituelles.


Entrer dans la louange est beau et bon, à condition de savoir canaliser et d’en sortir, à condition que ça ne devienne pas l’essentiel.


En régime chrétien, le lieu principal de la rencontre de Dieu n’est pas la louange, ni même les lieux « sacrés » tels que les églises ou les temples : le Dieu de l’Incarnation se donne à voir et à accueillir au cœur de la réalité du monde et de la vie des hommes. C’est la spécificité de la spiritualité chrétienne, par rapport à toutes les autres spiritualités ! « Et moi je suis avec vous tous les jours, jusqu’à la fin du monde » (Mt 28, 20).


Or, quand j’écoute le langage de ces groupes de louange, j’ai souvent l’impression que le monde est absent, que l’incarnation n’est plus première : il me semble que la rencontre de Dieu est recherchée dans un climat et avec des mots déconnectés de la réalité humaine. Je me trompe ?


Sur la montagne de la transfiguration (Mt 17, 1-9), trois apôtres font l’expérience d’une vision éblouissante de la Gloire de Dieu. Mais quand ils veulent camper là dans l’illumination, ils ne voient plus que l’homme Jésus qui les invite à redescendre sur terre et à ne parler à personne de ce qui s’est passé. Etonnant ! Comme si Jésus ne voulait pas être reconnu comme le Dieu lumineux et inaccessible, mais comme le crucifié sur le chemin des hommes à sauver de la misère. Et vous, où cherchez-vous votre Dieu ?


Dans l’Evangile, Jésus commence sa vie par une retraite au désert, pour trouver en lui l’énergie de dire non aux forces de destruction qui habitent tout homme. Mais très vite il rejoint le monde des hommes, le « Capharnaüm » des nations, les petits, les malades et les rejetés… Il ne leur dit pas : « Je vais prier pour toi ». Il leur dit « Que veux-tu que je fasse pour toi » (Luc 18, 35-43) ou « Aujourd’hui, il faut que j’aille demeurer dans ta maison ». Et les religieux de l’époque qui faisaient des sacrifices dans les temples l’accusaient d’aller manger chez les pécheurs !


Jésus parfois emmène ses apôtres sur la montagne pour se mettre à l’écart et se reposer un peu. Mais les foules humaines les suivent. Tout le monde a faim, de pain et de parole d’espoir. « Jésus fut saisi de compassion envers eux, parce qu’ils étaient comme des brebis sans berger. » Les disciples préfèrerant rester seul avec Jésus en repos et en contemplation, lui demandent de renvoyer tout ce monde à la maison. Mais Jésus leur dit : « Donnez-leur vous-même à manger ! » (Mc 6, 31-45).


A la fin de nos vies, ce qui en éprouvera la valeur, ce ne sont pas les temps de louange et de prière, mais c’est : « J’avais faim, vous m’avez donné à manger. J’avais soif, vous m’avez donné à boire. J’étais nu… malade… étranger… vous m’avez visité, soigné, accueilli… Ce que vous avez fait au plus petit d’entre mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait. » (Mt 25, 31-46).


La vraie prière est toujours gratitude, en langage chrétien « action de grâce » : la grâce est une action, une action qui transforme, pas par l’opération du Saint Esprit, mais par des actes quotidiens au nom du Christ qui vont transformer le monde et contribuer au salut concret de tout homme. Alors quand nous vivons comme ça au quotidien, nous pouvons apporter notre gratitude au Dieu qui nous associe à sa tâche de Sauveur, nous pouvons « rendre grâce » pour la grâce gracieuse et gratuite qui agit par nos mains au cœur du monde.


Les chrétiens célèbrent l’Eucharistie où il fêtent la présence réelle du Christ. Mais il n’y a pas d’Eucharistie possible sans ce pain et ce vin « fruits de la terre et du travail des hommes » (Liturgie de la Messe). La présence réelle de Jésus dans l’Eucharistie n’a aucun sens et aucune efficacité sans la présence réelle de Jésus dans nos paroles et nos gestes de bienveillance et de salut au quotidien. C’est cela, l’action de grâce !


Une jeune femme faisant partie d’un groupe de louange me disait il y a quelques semaines : « Ma grande découverte de cette année, c’est l’incarnation » : il me semble qu’elle parlait de la rencontre de Dieu dans sa vie quotidienne et dans son engagement social dans une association qui soutient les plus démunis.


Une autre jeune femme m’évoquait une retraite où elle a été invitée par le prédicateur à déposer aux pieds de la Croix de Jésus les relations toxiques dont elle voulait se libérer. Elle l’a fait sincèrement en pensant à une ancienne relation amoureuse qui laisse encore des traces. Quelques jours après, elle me disait : « c’est facile de déposer au pied de la Croix, mais maintenant je me rends compte que je ne suis pas encore libérée de cette relation. La prière ne résout pas tout. Il va falloir que j’agisse et que je fasse des choix dans ma vie concrète ».


Je pense aussi à ces personnes qui passent leur vie à écouter des musiques enregistrées. Je me demande souvent : quand écoutent-ils vraiment leur musique intérieure ? quand écoutent-ils la résonnance en eux des évènements qu’ils vivent ? Je pense souvent que leur musique assourdit leur être intérieur et les conforme aux rythmes des autres. Je me demande parfois si les longues séances de louange n’ont pas le même effet…


« Et quand vous priez, ne soyez pas comme les hypocrites : ils aiment à se tenir debout dans les synagogues et aux carrefours pour bien se montrer aux hommes quand ils prient. Amen, je vous le déclare : ceux-là ont reçu leur récompense.

Mais toi, quand tu pries, retire-toi dans ta pièce la plus retirée, ferme la porte, et prie ton Père qui est présent dans le secret ; ton Père qui voit dans le secret te le rendra. » (Mt 6, 6).


Si la louange devient l’essentiel, elle risque de nous conduire à l’illusion ou à l’évasion. Elle risque d’avoir le même effet que qu’une drogue anesthésiante qui fait oublier la difficulté du réel. Mais toujours les réveils sont durs et les confrontations à la réalité risquent d’être encore plus choquantes.


« Et les moines, me direz-vous ! Il passent toute leur vie à prier ! » Faux ! Leur vie est divisée en trois tiers : un tiers pour dormir, manger, se détendre, un tiers pour travailler, un tiers pour prier ! Ils ne passent pas toute leur vie à prier ! Ils passent toute leur vie à chercher Dieu dans la prière, dans le travail, en en prenant soin d’eux !


Alors si c’est important pour vous de chercher Dieu, n’oubliez pas : la louange est un beau chemin, mais pas l’essentiel. Il s’agit de trouver Dieu au cœur de soi et dans toute sa vie. La louange ne prend sens que dans l’enracinement (l’incarnation disent les chrétiens) dans mon existence quotidienne et dans la vie des hommes de ce temps :


« Les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses des hommes de ce temps, des pauvres surtout et de tous ceux qui souffrent, sont aussi les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses des disciples du Christ, et il n’est rien de vraiment humain qui ne trouve écho dans leur cœur. Leur communauté, en effet, s’édifie avec des hommes, rassemblés dans le Christ, conduits par l’Esprit Saint dans leur marche vers le Royaume du Père, et porteurs d’un message de salut qu’il faut proposer à tous. La communauté des chrétiens se reconnaît donc réellement et intimement solidaire du genre humain et de son histoire. »


Concile Vatican II, Constitution Pastorale sur l'Eglise dans le monde de ce temps « Gaudium et spes »


Marc THOMAS – 15 mars 2021


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