D'absence en attente
Ascension
VOICI LE TEMPS DE L'ABSENCE
Les Apôtres viennent de vivre avec Jésus des événements qui transforment une vie, des mois d'intimité avec lui.
Il se sépara d'eux
comme un père ou une mère lâchent la main de leur enfant,
comme des amoureux quittent les bras du bien-aimé,
comme un mourant s'en va quittant les siens.
Comme nous, les Apôtres : séparés, existants, mais seuls et démunis…
Pourquoi restez-vous là à regarder le Ciel ?
Combien de fois faisons-nous cette expérience lorsque vient la séparation dans nos vies d'hommes et de femmes, nous laissant les yeux dans le vague, sans voix, tétanisés, hébétés…
Pour les Apôtres comme pour nous, il va s'agir de consentir à l'absence. Bien sûr, ceux et celles dont nous sommes séparés demeurent dans nos pensées, notre mémoire. Ils nous restent présents, mais d’une présence qui se fait souffrance car ils nous manquent !
Nous ressentons parfois une sorte de présence de celles et ceux qui nous ont quittés… Mais nous ne pouvons plus ni les voir, ni les entendre ni les toucher.
Comme nous les Apôtres croient en la parole de Jésus : Je suis avec vous tous les jours jusqu'à la fin du monde (Mt 28,20). Mais à Emmaüs, dès qu’ils le reconnaissent, Jésus leur échappe. Nous croyons que Jésus est là aujourd'hui, mais nous ne le voyons pas en direct. Jamais nous ne le saisissons.
Seule la foi nous fait lire sa présence dans de pauvres signes : les assemblées chrétiennes, le pain et le vin partagés, le visage du plus petit... Des signes qui nous renvoient à lui, mais lui, nous ne l'avons pas vu ! Le temps de l'Ascension nous invite à consentir à l'absence.
Jésus dit à ses Apôtres (Jn 14, 18-20) :
Je ne vous laisserai pas orphelins, je reviens vers vous. D’ici peu de temps, le monde ne me verra plus, mais vous, vous me verrez vivant, et vous vivrez aussi. En ce jour-là, vous reconnaîtrez que je suis en mon Père, que vous êtes en moi, et moi en vous.
N’est-ce pas un peu cette même expérience que font des personnes endeuillées : après le bouleversement de la mort, après le temps du deuil et de l’absence douloureuse, vient le temps de continuer à vivre… Et dans cette nouvelle étape nous ressentons souvent que notre défunt est là, au plus profond de nous, que l’amour a survécu à la mort et nous redonne l’énergie d’avancer…
Confrontés à la séparation et à la solitude, les Apôtres entendent ce que nous entendons aussi : se séparer n'est pas abandonner. Mais pour en faire l’expérience, il faut prendre le temps de vivre cette absence, de finir par y consentir plutôt que de s’en lamenter à l’infini.
Voici le temps de la promesse et de l’attente
Comme nous dans le deuil et dans toutes les séparations, les Apôtres acceptent très diversement l’absence : il n'y a qu'à lire les textes bibliques de la liturgie de l’Ascension pour s’en convaincre. Dans les Actes des Apôtres, les Apôtres semblent dans une telle torpeur que des anges doivent venir les secouer. Dans l'Evangile, ils retournent à Jérusalem remplis de joie et louant Dieu. Comme nous probablement dans les temps de l'attente, les voici qui passent de la torpeur à la joie, de l'angoisse à l'espoir.
Nous célébrons l'Ascension parce que nous vivons ce temps de la promesse et de l'attente, dans cet entre-deux qui sépare l'Ascension de la fin du monde. Nous faisons nous aussi cette même expérience de l’entre-deux, lorsque nous devons consentir à l’absence d’un être aimé tout en espérant son retour et les retrouvailles : je pense à ces familles dont un enfant a disparu, à ces parents qui vivent le choc de la rupture avec un enfant, à ces amoureux séparés par la guerre… Je pense aussi à toutes ces personnes en deuil qui espèrent des retrouvailles après leur propre mort…
De même les Apôtres, dans la torpeur depuis le départ de Jésus au jour de l’Ascension : voici qu’un ange vient les secouer :
Galiléens, pourquoi restez-vous là à regarder vers le ciel ? Ce Jésus qui a été enlevé au ciel d’auprès de vous, viendra de la même manière que vous l’avez vu s’en aller vers le ciel. (Ac 1, 11).
Dans nos vies aussi parfois, des anges viennent nous secouer : des proches, tel ou tel ami qui nous soutient dans l’épreuve, et qui parfois nous invite à regarder plus loin que la blessure et à croire en un nouveau départ…
Nous sommes dans cet entre-deux : entre le temps de l’avant qui n’est plus (« c’était le bon temps » disons-nous parfois !) et le temps nouveau qui n’est pas encore.
De même les Apôtres à l’Ascension, entre le temps du compagnonnage avec Jésus sur les routes de Galilée, et le temps de la mission sur les routes du monde qui n’est pas encore…
C'est le temps de l'attente, et ça va être le temps de l'Esprit : tendus vers ce qui vient, sommes-nous crispés ou disponibles ?
VOICI LE TEMPS DE LA ROUTE ET DE L'ENVOI
Les Apôtres ne sont pas restés là à regarder le ciel. Ils auraient pu se disperser dans la déception, refusant cette étape ; ils vont devenir témoins.
Toute séparation est un appel à vivre et à grandir :
quitter le ventre maternel pour devenir humain ;
quitter son père et sa mère pour devenir autonome et aimant ;
quitter ses illusions pour s'enraciner dans la vie ;
quitter nos prisons ou nos cocons pour prendre le large ;
quitter pour devenir, quitter pour vivre !
Les Apôtres ne sont pas restés là à regarder le ciel : s'ils sont repartis s'enfermer à Jérusalem, l'Esprit est venu bien vite les déloger :
L’Esprit Saint viendra sur vous. Alors vous serez mes témoins à Jérusalem, dans toute la Judée et la Samarie, et jusqu'aux extrémités de la terre. (Ac 1, 8).
Marie-Madeleine qui avait été la première à voir le ressuscité n'avait pas pu davantage retenir Jésus pour elle : Va dire à mes disciples que je les précède en Galilée(Mt 28, 7)..
Les disciples d'Emmaüs ne sont pas restés à contempler les restes du repas où ils l'avaient reconnu : ils sont sortis à nouveau pour se remettre en route. Et voici que même la nuit ne leur faisait plus peur, et que leur désespoir s'était changé en feu brûlant.
Depuis la Résurrection et l'Ascension, Jésus Christ est toujours celui qui échappe dès qu'on le reconnaît, celui qui devance, celui qui a une longueur d'avance et qui nous met en marche pour aller à sa rencontre.
Comme après toute séparation humaine, comme après tous les seuils et tous les deuils de nos existences, c'est dans l'énergie de se remettre en route que se trouve le salut. A nous aussi est promise et donnée la force de l'Esprit qui remet en route.
J’ai parfois l’impression que certains chrétiens cherchent par tous les moyens à retenir Jésus, à garder sa présence, à privilégier quasi uniquement la rencontre de Dieu dans l’intimité de la prière, de la présence réelle adorée, de la louange mystique d’un cœur à cœur avec Dieu, des images pieuses d’un Jésus tellement glorieux qu’il n’a plus rien d’humain…
Déjà le prophète Amos avait mis dans la bouche de Dieu ces paroles vigoureuses :
Je déteste, je méprise vos fêtes, je n’ai aucun goût pour vos assemblées.
Quand vous me présentez des holocaustes et des offrandes, je ne les accueille pas ; vos sacrifices de bêtes grasses, je ne les regarde même pas. Éloignez de moi le tapage de vos cantiques ; que je n’entende pas la musique de vos harpes.
Mais que le droit jaillisse comme une source ; la justice, comme un torrent qui ne tarit jamais ! (Am 5, 21-24).
Et l’ange de la Résurrection peut aussi nous bousculer comme il a bousculé les Apôtres :
Pourquoi restez-vous là à regarder le Ciel ?
Vous cherchez Jésus de Nazareth, le Crucifié ? Il est ressuscité : il n’est pas ici. (…)
Allez dire à ses disciples et à Pierre : “Il vous précède en Galilée (Dans l’Evangile la Galilée est le carrefour des nations, le cœur du monde). Là vous le verrez, comme il vous l’a dit.” (Mc 16, 6-7)
Si nous prenons résolument la route des hommes croyant qu'il nous devance dans la « Galilée des nations », nous aurons l'audace des Apôtres se lançant sur les routes malgré l'adversité, et nous aurons la joie des disciples d'Emmaüs découvrant que les autres aussi avaient reconnu le Seigneur sur leur chemin de vie…
J’avais faim, et vous m’avez donné à manger ; j’avais soif, et vous m’avez donné à boire ; j’étais un étranger, et vous m’avez accueilli ; j’étais nu, et vous m’avez habillé ; j’étais malade, et vous m’avez visité ; j’étais en prison, et vous êtes venus jusqu’à moi !”
Alors les justes lui répondront : “Seigneur, quand est-ce que nous t’avons vu… ? (…) Quand sommes-nous venus jusqu’à toi ?”
Et le Roi leur répondra : “Amen, je vous le dis : chaque fois que vous l’avez fait à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait.” (Mt 25, 35-40)
Marc THOMAS
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