Marc THOMAS
Non à la diabolisation
Dans les échanges sur Facebook à propos des élections ou du Covid,
dans nos ruminations contre celle ou celui qui nous a fait du mal,
dans nos aigreurs contre la société, contre les élus, contre les riches,
dans nos jugements contre celles et ceux qui ne pensent pas comme nous…
L’autre devient le diable

j’accumule contre lui ou contre elle
tous les reproches et toutes les accusations,
je confonds ses erreurs avec sa personne :
je ne dis plus :
« je ne suis pas d’accord avec ce que vous faites »
je ne dis plus :
« ce que vous dites est une erreur »
ou « ce que vous faites est une injustice »,
mais je dis :
« vous êtes
un pervers, un oppresseur, un dictateur… »
Je confonds l’acte et la personne,
et l’autre devient le diable à éliminer.
DÉ-DIABOLISER
Passer du mono au stéréo
Quand tu ne regardes que d’un œil, la réalité n’a plus de relief.
Aucune réalité, aucun évènement, aucune personne ne se réduisent qu’à un seul aspect.
Ceux qui diabolisent choisissent les aspects qui les intéressent et rejettent les autres.

Comme le manichéisme nous avons séparé :
le bien et le mal,
le noir et le blanc,
le positif et le négatif
la vie et la mort…
Or en chacun de nous et en chaque évènement
se mélangent des forces de vie et des résistances,
des parts lumineuses et des parts sombres
des désirs et des peurs,
des envies de bien faire qui sont mal interprétées par d’autres,
des échecs qui font progresser…
et pour faire de la lumière,
il faut connecter un pôle positif et un pôle négatif !
Tout être humain est un faisceau d’énergies
qui à la fois le mettent en mouvement et le freinent,
lui font créer la vie et en faire le deuil,
lui permettent d’aimer l’autre par-delà ses égoïsmes…
Diaboliser,
c’est réduire à un seul aspect
une personne ou un évènement.
Or cette personne et cet évènement n’existeraient pas
si d’autres aspects ne le révélaient pas.
Comment sauriez-vous que la lumière existe si vous ne connaissiez pas la nuit ?
Comment sauriez-vous que le ciel est bleu s’i vous ne voyiez que les nuages ?
Comment verriez-vous la personne blessée si vous êtes éblouis par sa violence ?
Diaboliser,
c’est choisir sciemment de sélectionner ce qui ne me convient pas chez l’autre,
et c’est passer sous silence le reste ;
c’est réduire l’autre à ce que je dénonce
et ignorer ce dont il m’a fait bénéficier.
Diaboliser est non seulement une erreur,
mais c’est une malhonnêteté volontaire et trompeuse.
On nous a appris à penser en « ou-ou »:
ou bien j’ai raison, ou bien j’ai tort
ou c’est bien, ou c’est mal
ou c’est bon, ou c’est mauvais…
Cela conduit à l’exclusion et au racisme,
à la domination et au rejet…
Tant d’acharnement à convaincre sans écouter…
tant de malentendus, de conflits et de guerres…
Et si nous pensions en « et-et » :

et j’ai perçu une partie de la réalité,
et j’en découvre une autre grâce au regard du voisin,
et je peux affirmer ce que je crois,
et je peux m’enrichir de ce que l’autre croit,
et je peux défendre mes valeurs,
et je peux respecter celles de l’autre…
et je peux être libre de mes choix,
et je peux négocier avec ceux qui ont fait des choix différents
et je peux assumer la responsabilité de mes choix
et je peux respecter les choix de la majorité comme de la minorité.
Distinguer l’acte et la personne
Dé-diaboliser, c’est aussi
pouvoir dénoncer les faits sans jamais juger les personnes.
C’est le travail que fait une justice démocratique :
elle cherche à établir les faits, et le degré de responsabilité,
au nom d’une loi commune et objective et pas au nom des affects de chacun.
Quand le peuple crie « c’est un montre »,
le juge dit : « cette personne a tué, elle est responsable de ses actes »,
la loi la condamne à une peine objectivement déterminée.
Chaque fois que nous confondons l’acte et la personne
nous sommes dans le terrorisme illégitime
parce que nourri par des affects de haine et de rejet.
Et ce terrorisme grandit aussi par un effet de généralisation :
par exemple quand on confond étranger et insécurité
ou quand on croit que toutes les femmes voilées sont des soumises.
On peut dénoncer une répartition injuste des richesses
et interpeller les riches à la solidarité
ça ne donne pas le droit de diaboliser « les riches ».
On peut dénoncer le travail au noir et les détournements de fonds,
et lutter pour qu’une loi de justice s’applique à tous,
ça ne donne pas le droit de diaboliser toutes celles et ceux dont se méfie.
Quand on est parents, on peut regretter que nos enfants aient fait d’autres choix
ou que leur éloignement les empêche de prendre soin de nous,
ça ne donne pas le droit de penser qu’ils sont égoïstes et ne pensent qu’à eux !
Aux dernières élections, le « tout sauf Macron » ou le « Tout sauf Le Pen »
sont l’exemple même d’une généralisation hâtive
qui confond un candidat avec une partie de ce qu’il a fait et que je n’accepte pas.
La plupart de celles et ceux qui sont si engagés dans un combat
contre l’un ou l’autre et qui les rejettent
peuvent-ils dire qu’ils ont écouté leurs propositions,
qu’ils ont lu leurs programmes,
qu’ils se sont informés à des sources objectives sur les enjeux de ces programmes ? La plupart du temps, ces rejets sont motivés par des affects très subjectifs de rejets !
Et si au lieu de nous invectiver, nous commencions par nous écouter ?
Marc THOMAS
Un peu d’étymologie…
DIA-BOLOS διάβολος en grec DIABLE en françai
Il ne s’agit pas d’un diabolo menthe !!!
Il ne s’agit pas du diable qui transporte les charges lourdes !
https://www.lalanguefrancaise.com/dictionnaire/definition/diable#1
du grec διάϐολος, diable, proprement calomniateur,
de διαϐάλλειν, calomnier, jeter à travers,
de διὰ, à travers et βάλλειν, jeter.
L'ancien français, pour diable, disait très fréquemment maufait,
c'est-à-dire le malfait, ou l'aversier,
c'est-à-dire l'adversaire, l'ennemi.
L’inverse : SUN-BOLON σύμϐολον en grec SYMBOLE en français
https://www.lalanguefrancaise.com/dictionnaire/definition/symbole#1
Lat. symbolum, de σύμϐολον, marque convenue,
de συμϐάλλειν, mettre ensemble,
de σὺν, avec et βάλλειν, jeter.
