5-Sortir des Paradis pour vivre !
Il était une fois des Paradis... 5/5
Dans les articles précédents, nous évoquions la difficile confrontation aux difficultés de la vie quotidienne dans un monde souvent bouleversé, nous demandant s’il est possible pour tous et tout le temps d’y rester un homme debout, à l’image de Dieu, donc libre, vivant, vivifiant.
Nous sommes souvent tentés de confondre le vrai bonheur avec des paradis qui ne sont plus et dont il a fallu toujours sortir pour se confronter au réel.
Nous en parlions dans les chapitres précédents :
Le paradis terrestre des premiers humains vite dénaturé par la soif de pouvoir et de domination, dont ils vont sortir pour apprendre à exercer leurs responsabilités de co-créateurs
Le paradis du ventre maternel où le fœtus reçoit tout, tout de suite, sans le demander, mais dont il va sortir nu et fragile pour apprendre à vivre par lui-même dans l’autonomie et l’interdépendance.
Ces rêves paradis perdu, ou ces fuites de toutes sortes, confondant notre désir de vivre heureux avec une quête de paradis irréel…
Pourquoi cette confusion entre monde de rêve et vie réelle ? Comme s’il était impossible de trouver un vrai bonheur durable dans le monde tel qu’il est.
SORTIR POUR VIVRE
Si la vie commence au paradis terrestre comme au ventre maternel, elle ne peut grandir et se développer qu’en sortant du paradis.

Le fœtus vient au monde en sortant du ventre maternel.
L’œuf devient poussin en sortant de sa coquille.
Le peuple des Hébreux ne retrouve la liberté qu’en sortant de l’esclavage en Egypte.
Dans le désert du Sinaï, « Moïse fit sortir le peuple hors du camp, à la rencontre de Dieu, et ils restèrent debout au pied de la montagne. » (Ex 19, 17)
« Lazare, sors dehors » dit Jésus « déliez- le et laissez-le aller » (Jn 11, 43-44).
La paix et la solidarité reviennent seulement quand chacun sort de son camp pour négocier à la rencontre de l’autre.
Sortir de l’hôpital, sortir de prison, sortir après le cyclone,
sortir de sa zone de confort, sortir avec son amoureux, etc. :
enfin la liberté et la vraie vie !
DES POSTURES DIFFÉRENTES pour « sortir des paradis et vivre »
--> Acteurs d’un monde en évolution
Certains accèdent à la vraie vie parce qu’ils ont pu se construire dans leur enfance et leurs apprentissages, ils ont pu structurer leur personnalité. Ils ont appris à contourner les obstacles et à s’appuyer sur leurs ressources propres, laissant parler leurs vrais désirs, élaborant des projets. Ils ont trouvé en eux et dans leur entourage la reconnaissance, l’audace et la motivation de prendre place dans ce monde et d’y développer leurs talents.
--> Prophètes de valeurs à restaurer
D’autres choisissent une vie décalée des standards de la société, et inventent dans la créativité des manières nouvelles de vivre : choisir son rythme de vie plutôt que subir celui du travail… Accepter de vivre avec peu de moyens plutôt que de chercher la rentabilité à tout prix… Respecter la planète et ses ressources plutôt que gaspiller et chercher la croissance à tout prix… Promouvoir l’équité, le respect et la solidarité plutôt que d’imposer la hiérarchie, le pouvoir et la domination… Être plutôt que faire ou avoir … Bien-être, liberté et accomplissement plutôt que épuisement, stress, pression…
Ceux-là, parfois qualifiés de doux rêveurs, sont les éclaireurs du monde qui vient, à la condition qu’ils ne se retirent pas seulement entre semblables dans le rejet de la société et dans la recherche d’un paradis de purs. Leur témoignage rendre possible le passage d’une société de gaspillage et de profit à une société de sobriété et de partage, à une condition : proposer plutôt que dénoncer… interagir plutôt que se couper… insuffler et entraîner dans le monde tel qu’il est plutôt que recréer un idéal de paradis…
--> Destructeurs ou détruits
D’autres font irruption dans la vraie vie avec violence, bousculant tout sur leur passage, écrasant ceux qu’ils considèrent comme des obstacles… Des personnes douées de talent et de moyens financiers et culturels prennent des postures écrasantes et tracent la route de leur prétendue réussite sur les décombres des petits et des précarisés de la vie.
Ceux-là redeviennent les Adam et Eve croquant la pomme du paradis pour s’approprier ce monde pourtant créé pour tous ! Alors les riches deviennent de plus en plus riches, ceux qui réussissent se partagent entre eux ce qu’ils produisent, certains élus ou certains chefs deviennent des tyrans et laissent les autres assommés sur le bord de la route…
D’autres transforment leur sentiment d’injustice en violence qui casse un monde où ils n’ont pas pu prendre leur place. Souvent la violence qu’ils exercent est la vengeance inconsciente d’une violence subie. Ils sont les victimes d’un parcours chaotique parfois dès avant la naissance, de décrochages dans des apprentissages ou d’échecs à prendre place dans des cursus inadaptés. Certains n’ont pas eu la chance, le soutien et la reconnaissance qui permet de se découvrir capable de construire et de canaliser les pulsions destructrices…D’autres confrontés à l’échec, à la fragilité, à la maladie se sont vite retrouvés en rade, parfois dans la désespérance.
Dans ce monde réel qui offre autant d’atouts que de contrariétés, ils n’ont pas pu se découvrir capables d’élaborer les projets qui les auraient motivés, ils n’ont pas été accompagnés dans les épreuves, ils n’ont souvent pas trouvé dans la vie sociale les soutiens qui leur auraient permis de décoller, ou ils n’ont pas perçu que ces soutiens leur étaient accessibles.
Il leur reste donc deux solutions :
se révolter contre une société perçue comme injuste,
ou se réfugier dans un paradis perdu imaginaire.
Chacun de nous s’est probablement reconnu dans une ou plusieurs de ces postures, tant il est vrai que nous pouvons tous passer par ces différentes postures selon les moments et les contextes de nos vies. Quelle que soit notre posture, voici trois pistes pour reprendre la voie royale et redevenir ensemble co-créateurs d’une vraie vie dans le monde telle qu’il est :
TROIS PISTES POUR CONSTRUIRE LA VRAIE VIE D’UN MONDE POUR TOUS
--> Asseoir notre sécurité sur nos ressources intérieures
Dans un Groupe de Parole, une personne racontait qu’elle a dû quitter son travail, sa maison, et certaines de ses relations, parce que ses valeurs profondes étaient bafouées. Elle s’est retrouvée sans ses sécurités extérieures (la paye, la belle maison, la voiture…). Elle a traversé l’épreuve parfois douloureusement.
Mais petit-à-petit, elle a ressenti une sensation de liberté : elle restait certes angoissée de ne pas pouvoir financer ses besoins du quotidien, mais elle se sentait redevenir elle-même. Dans ce parcours initiatique, une porte s’est ouverte : elle a retrouvé toutes les ressources qu’elle portait en elle : honnêteté, sincérité, capacité de relations respectueuses et épanouissantes, énergie pour faire face aux difficultés…
Dépouillée de ses sécurités extérieures et forcée à la sobriété, elle peut se servir à profusion de ses ressources intérieures. Retrouvant ainsi la sérénité et le bonheur, et capable d’en rayonner, elle a enfin confiance dans sa capacité à retrouver les moyens, même matériels, de vivre vraiment.
L’une des personnes qui l’écoutait a réagi ainsi à la fin de son intervention : « finalement, la sobriété, c’est enrichissant ! »
--> Œuvrer à l’avènement d’une société plus juste
· quitter le « chacun pour soi » pour offrir une place à tous dans un monde à construire…
· dans nos relations professionnelles, dans notre voisinage choisir toujours de faire advenir une société fraternelle et enthousiasmante capable de susciter l’envie et le désir de s’investir…
· dans nos choix de vie personnelle et familiale, oser promouvoir le partage plutôt que le profit… la concertation et la négociation plutôt que le pouvoir autoritaire… l’éthique, l’équité, le respect plutôt que le chacun pour soi… l’écologie des relations et de la nature, plutôt que l’asservissement à soi…
--> Accompagner les personnes fragilisées
Exercer l’empathie pour ces personnes qui ne pourront pas grandir tout seuls ou sont confrontés à l’épreuve ou à l’échec.
Deux écueils à éviter : l’écueil du jugement qui pointe du doigt « les mauvais élèves » et les culpabilise. Et l’écueil de la pitié qui se contente de plaindre là où il faudrait soigner et traiter.
Pour éviter ces deux écueils, une seule posture, celle de l’accompagnement : il s’agit de rejoindre ceux qui restent sur le bord de la route, de marcher avec eux, mais en alliant 2 postures : celle de l’empathie qui accueille et soutient, et celle de l’appel à se relever qui encourage, sollicite et parfois aiguillonne. Il s’agit à la fois de comprendre et cadrer, d’écouter et d’orienter, d’accueillir et de poser des exigences, d’avoir de la patience et de fixer des objectifs…
Ni quête du paradis perdu, ni rejet et révolte.
Quitter la volonté de tout maîtriser pour accueillir la vie comme elle vient…
et s’investir dans la transformation du monde réel,
même seulement comme le colibri !
Marc THOMAS

Le Sculpteur – Peinture de Louis Toffoli
ou quand l’homme, traversé de lumière, devient créateur…
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